Les gens malheureux croient, à tort, que les gens heureux ont plus
de chance qu'eux. Ils s'imaginent que le bonheur tombe du ciel comme la neige
en hiver. Ils se trompent. Le bonheur vient à ceux qui l'appellent comme un
enfant appelle le sourire et la tendresse de sa mère. Le bonheur appartient à
ceux qui ont le courage d'être heureux contre vents et marées.
L'amour de la vie ne me vient pas de celui que j'aime et
qui ne peut pas être à mes côtés. Il ne me vient pas de la fortune, car je ne
suis pas riche. Il ne me vient pas plus de la beauté plastique, car je suis une
fille bien ordinaire. L'amour de la vie me vient de la vie elle-même. À partir
du moment où l'on décide de choisir la vie, tout conspire à faire apparaître ce
dont on a besoin pour la savourer. De façon imprévisible, la vie s'amuse à
surprendre par ce qu'elle a de meilleur et ce qu'elle a de pire. Les joies et
les peines font en effet partie de la danse perpétuelle de la vie. On ne peut
éviter l'épreuve mais on peut certes l'envisager comme un défi à rencontrer. La
dignité humaine permet de traverser le pire sans être constamment obligé de
s'appuyer sur les autres pour y faire face. Se prendre en charge soi-même est
la meilleure façon d'affronter sa souffrance et de s'en libérer.
Le compte à rebours est commencé. L'an 2000 se précipite
sur nous avec son «bogue» monstrueux. Il est peut-être déjà là au moment où
vous lisez ces lignes. Pourquoi ne pas faire de ce bug (selon sa graphie
anglaise) une occasion unique de tourner, une fois pour toutes, la page de
l'insatisfaction chronique, des regrets, des apitoiements sur son sort, des
pensées négatives. Je vous propose un bug étonnant pour apprendre l'amour de la
vie. B pour bâtir, U pour utiliser et G pour gagner. À chacun sa folie. La
mienne est incurable. Le courage d'être heureux, c'est en effet bâtir chaque
jour sa confiance en soi, dans les autres et en l'univers. Le courage d'être
heureux, c'est aussi utiliser ses points d'ancrage tout en évitant d'en devenir
esclave. Le courage d'être heureux, c'est enfin gagner le pari de l'équilibre
malgré les passions qui nous habitent, les épreuves qu'il nous faut traverser
et les paradoxes qui nous torturent.
Le courage d'être heureux exige une vigilance de chaque
instant, une volonté indéfectible de ne pas sombrer dans le désespoir. être
malheureux, c'est beaucoup plus facile que d'être heureux. On se laisse
lentement glisser dans nos peines sans avoir l'intention de refaire surface. On
se complaît à sombrer sous le poids de nos problèmes sans même prendre une
petite respiration avant de mettre la tête sous l'eau. Lorsque nous nous
concentrons si intensément sur ce qui nous manque, toutes nos richesses sont
irrémédiablement écartées de notre champ de vision. On envie le bonheur des
autres sans même réaliser qu'on est l'artisan de son propre malheur.
Il n'y a plus une minute à perdre. Chacun est responsable
de son bonheur. Le bonheur est contagieux et il pourrait engendrer un nouvel
âge d'or pour l'humanité. Sans la confiance, pas de bonheur. Sans la conscience,
pas de vie. Il faut se retrousser les manches, regarder la souffrance et lui
sourire en étant bien conscient qu'elle n'est que passagère, même si elle a
tendance à faire des allers-retours réguliers. Au moment où l'on s'y attend le
moins, cette visiteuse importune émerge souvent comme si elle était venue de
nulle part. Lorsqu'on est complètement envahi par sa présence, soudain elle
disparaît sans avertissement, tout comme elle était venue. Il faut donc
profiter du moment présent quel qu'il soit, et se rendre compte de son
importance pour notre évolution. Apprendre à apprécier ce qui est plutôt que
d'aspirer à ce qui pourrait être.
Il faut plonger dans le bonheur à travers ses larmes, ses
déceptions et ses peurs. Avoir le courage d'être heureux chaque matin et chaque
soir lorsqu'on se sent seul et abandonné. Renaître à la vie chaque fois qu'il
nous faut mourir à ce qui nous attache. Les renoncements et les souffrances
peuvent écraser certaines personnes, mais ils permettent à d'autres d'accéder à
la dégustation de la vie. Le choix nous appartient. Le courage d'être heureux,
c'est l'art de canaliser son énergie dans le bon sens. Le courage d'être
heureux, c'est beau et grand. Le courage d'être heureux constitue l'un des
défis les plus nobles à relever pour soi, pour les autres et pour le destin de
l'humanité.
Enfin l'équilibre
Après un long périple, le navire tangue doucement et il
sait qu'il a réussi à braver les pires tempêtes. Combien de temps lui
reste-t-il à parcourir les flots calmes ou déchaînés avant d'atteindre le
dernier port, celui vers lequel il se dirige depuis le tout début? Il l'ignore
et ne s'en soucie guère.
Comme le navire dont je suis le capitaine, je sais que
j'ai atteint un état qui pourrait s'apparenter à celui de l'équilibre. Mon Dieu,
donne-moi la force de changer ce que je peux changer, le courage d'accepter ce
que je ne peux changer et la sagesse d'en voir la différence. Cette prière
simple mais tellement réconfortante m'a été enseignée par mon frère Louis qui
a, pendant quelques années, fait partie du groupe des alcooliques anonymes.
Cette prière propose une acceptation de la réalité tout en encourageant l'être
humain à ne pas baisser les bras au premier obstacle. À moins d'être convaincu
d'avoir tout fait pour améliorer une situation difficile et de réaliser que
celle-ci est irréversible, il faut toujours conserver l'espoir et lutter. Cette
façon d'envisager la vie avec sérénité et courage ne pourrait-elle pas
représenter une belle voie vers l'équilibre?
L'équilibre, c'est de continuer à vouloir vivre intensément
malgré le risque d'avoir mal, d'être déçu ou de ne pas atteindre tous ses
objectifs. C'est continuer d'avoir les yeux pleins d'eau chaque fois qu'on
entend les premières mesures de la
Petite Musique
de nuit
de Mozart ou des Quatre Saisons de Vivaldi même si ça fait des centaines de
fois qu'on les entend. C'est rire aux larmes sans raison et pleurer de joie
parce que l'on est témoin d'un beau geste humanitaire. C'est dormir du sommeil
du juste parce qu'on a la certitude qu'on a tout fait ce que l'on pouvait et
qu'on a l'âme en paix.
L'équilibre, c'est accepter d'être seul au plus profond de son âme
mais constater, à chaque instant, l'intense communion de cette âme avec toutes
les autres âmes qui la côtoient et qui ont soif de lumière. Cette solitude
quitte alors son antre stérile et devient irradiante. Cette solitude ne fait
pas souffrir. Dégagée de toute angoisse ou d'un quelconque sentiment d'abandon,
elle devient plutôt terrain d'accueil et d'amour. Ne pas mettre son bonheur ou
même une parcelle de son bonheur sur les épaules d'une autre personne, mais
accepter de partager ce bonheur avec l'ensemble de l'univers conduit à une
autosuffisance reposante.
L'équilibre m'a invitée à plonger dans l'amour comme on
plonge l'or dans le feu pour en retirer le meilleur. J'y ai appris à me
réchauffer sans me consumer, à me laisser apprivoiser sans me renier, à donner
sans m'oublier. La rencontre d'une âme sœur n'est pas le chemin de la facilité.
C'est pourtant celui que la vie m'a permis de suivre parce que je l'en avais
implorée passionnément. La vie m'a surprise en m'offrant généreusement ce fruit
de mes désirs, et m'a obligée à y faire face. Je sais aujourd'hui que ce chemin
exige confiance, respect et abnégation. Je sais aussi que l'être humain possède
toutes les forces nécessaires pour assumer ses choix parce qu'il est à l'image
de la vie elle-même. L'amour de la sagesse et la sagesse de l'amour, voilà où
m'a conduite ma recherche de l'équilibre.
Cette recherche ne m'a
donc pas évité la souffrance. Elle m'a appris à l'accueillir, à lui faire face
courageusement et à accepter de la laisser partir le moment venu. Sans la
souffrance, je n'aurais pas atteint la maturité, mais sans la joie je n'aurais
pu survivre à cette souffrance. L'équilibre entre joie et souffrance représente
un idéal que je vis maintenant avec bonheur.
L'équilibre, c'est un
avant-goût du ciel. Lorsqu'on commence à tendre vers l'équilibre et à y goûter,
on voudrait vivre jusqu'à cent ans et plus pour savourer encore et encore tous
les bienfaits de la vie. Assez paradoxalement, on se sent aussi prêt à partir
tout de suite parce qu'on ne laisserait pas de regrets derrière soi. On se sent
fort et vulnérable à la fois, mais en ayant toujours la certitude que la vie
vaut vraiment la peine d'être vécue. La mort, ultime passage de l'âme qui
retourne à ses origines spirituelles, prend alors une signification nouvelle:
elle est l'aboutissement d'un long mais passionnant voyage, le voyage intérieur, celui de la connaissance de soi.